« La ville peut participer à la biodiversité »

La loi Climat et résilience a pour ambition de donner des outils pour freiner l’étalement urbain. Mais en favorisant la densification des villes se pose également la question de l’écologie et de l’intégration d’une biodiversité. Au cœur de ces réflexions, Philippe Clergeau, écologue et professeur émérite du Muséum national d’Histoire naturelle, vient de signer avec un groupe sur l’urbanisme écologique, un ouvrage intitulé Réinventer la ville avec l’écologie (éditions Apogée).

Propos recueillis par Éléonore Bohn

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Avec la loi Climat et résilience, l'objectif est de freiner l'étalement l'urbain. Mais jusqu'où la densification des villes est-elle acceptable ?

Il faut limiter l’étalement urbain auquel a contribué l’avènement de la voiture. Une des solutions qui a été avancée est la densification des villes. Mais pour avoir fait partie de plusieurs discussions, je me suis aperçu qu’il y avait une volonté de ne pas vraiment baisser la construction par rapport à la demande, et de construire dans toutes les dents creuses. Mon inquiétude s’est alors portée sur une sur-densification. Aujourd’hui une ville moyenne ou grande en France a quand même une certaine perméabilité pour les espèces animales et végétales. Et mon angoisse est de voir mettre du bâti partout. Ce qui amène une interrogation autour du choix des friches à bâtir. C’est une question large, car certaines friches sont industrielles et polluées ; d’autres peuvent être sujettes à une accélération de la construction. Tandis que d’autres sont très anciennes, évoluent peu, et comportent beaucoup de biodiversité. En tant qu’écologue il fallait se poser la question de la densification, comment et où ?

Peut-on imaginer un urbanisme nature qui allie densification et biodiversité ? Est-ce que la végétalisation en fait partie ?

Aujourd’hui, il y la « nature en ville », la végétation offrant de nombreux services aux citadins. La deuxième étape est l’intégration de la « biodiversité » qui permet une durabilité du système et participe à la protection de certaines espèces. Viendrait ensuite une troisième étape : l’urbanisme régénératif. Je parle aussi d’urbanisme écosystémique : il ne s’agit pas de juste intégrer de la biodiversité, il s’agit là de renforcer l’intégration de la ville dans sa bio-région et d’avoir une forme d’autoentretien.

Dans le projet urbain, on ne va pas se contenter uniquement d’avoir des paysages plus vivants, la réflexion doit se faire plus en amont pour créer un système socio-écologique. On peut notamment regarder comment l’eau peut être complètement gérée comme dans un écosystème. Pour cela, il faut avoir des diagnostics très forts, avec aussi des approches métaboliques, géographiques et écologiques. À New York, la création de Central Park avait été l’occasion de travailler autour d’un grand espace vert qui donne de l’aération et des loisirs mais qui gère aussi l’eau. Je pense qu’il faut d’abord regarder comment fonctionnent les lieux. Et se dire que le non-bâti est aussi important que le bâti dans un projet urbain.

La végétalisation des bâtiments est une étape intéressante car c’est agréable à regarder, cela dégage une ambiance, donne de la fraîcheur et rend pas mal de services. Mais ce n’est pas de la pleine terre. Or, c’est la pleine terre qui permet d’accueillir une végétation autonome, avec une gestion de l’eau et une microfaune abondante. Et c’est aussi la pleine terre qui fait que la ville n’est pas hors-sol. Un autre exemple de végétalisation, c’est la monoculture comme lorsqu’on ne plante que des platanes dans les villes. En intégrant de la biodiversité, on crée une diversité, une durabilité et un fonctionnement. Une variété d’espèces résiste à des conditions climatiques variées ou à des crises sanitaires. La ville peut participer à la biodiversité.

Quelles sont les solutions déjà existantes pour les collectivités ? Peut-on citer quelques villes qui se tournent vers un urbanisme écologique ?

A ce jour, s’il n’y a pas de ville exemplaire, en revanche plusieurs villes vont dans le sens d’un urbanisme écologique, notamment avec certains écoquartiers qui prennent en compte les flux et le vivant. Parmi les autres exemples de biodiversité, on peut citer le cas de Strasbourg qui aménage des ripisylves, soit des forêts au bord de l’eau. Parmi les actions fortes, on ne met plus de pesticides. Localement, cela permet à toute une petite flore de vivre et de recréer des chaînes alimentaires.

Aujourd’hui, ce qui est à mon sens intéressant, c’est de savoir comment on organise les plantations dans les villes. La plupart des services municipaux le font assez bien. Si on veut avoir une biodiversité, il faut permettre aussi la dispersion des espèces avec des corridors écologiques surtout en pleine terre. Les centres-villes très minéraux ne permettent pas cela. D’une manière générale, l’enjeu repose sur la prise en compte de fonctionnements plus globaux à l’échelle de la ville et du quartier. Et de coupler cela avec des mobilités douces, des promenades, etc.

L’objectif est de faire en sorte que les gens se sentent bien en ville, non seulement pour le travail et la culture mais aussi pour leur équilibre et leur bien-être. C’est pour cela qu’il ne faut pas continuer cette course en avant de la ville qui s’étale et est très gourmande en énergie.