Thibault Quéré : « Il y a des enjeux climatiques et stratégiques qu’il faut adapter à certains marchés publics »
Avec la promulgation de la loi Climat & Résilience en France, l’heure est aux choix durables et responsables. L’association d’élus France urbaine pousse ces orientations pour qu’elles contribuent à la définition d’un nouveau cadre européen de la commande publique.
Christophe Amoretti-Hannequin, directeur Achats publics et finance verte de France urbaine revient sur quelques propositions.
Actuellement quel est le cadre européen de la commande publique ?
Deux directives européennes fixent le cadre de la commande publique : la directive 2104/ 23/UE sur l’attribution des contrats de concessions et celle de 2014/24/ UE, sur la passation des marchés publics. Il appartient ensuite à chaque pays de transposer ce « socle minimal » au niveau national, en ajoutant s’il le souhaite des objectifs ou contraintes complémentaires.
Les principes fondateurs de droit de la commande publique européen découlent de ceux qui ont participé à la création du marché unique européen, c’est-à-dire un principe d’efficacité économique et de concurrence libre et non faussée, qui s’est notamment traduite pour les marchés publics par les principes de liberté d’accès aux contrats, de transparence des procédures et de non-discrimination. C’est pour ces raisons qu’il n’est pas aujourd’hui légalement possible d’introduire des critères de localisation dans les appels d’offre.
France urbaine a fait des propositions d’évolutions pour répondre aux enjeux climatiques à travers la commande publique, quelles sont-elles ?
Nous pensons aujourd’hui que les enjeux climatiques imposent d’adapter le cadre de la commande publique et d’en faire un véritable levier au service de la transition écologique et d’une meilleure insertion sociale.
Tout d’abord, nous sommes favorables à la taxe carbone aux frontières. L’objectif est d’éviter la délocalisation de filières, notamment dans les pays où les normes de pollution sont moins strictes, et/ou la taxation carbone est inexistante. Ensuite nous souhaiterions que l’analyse du cycle de vie d’un produit se développe davantage, et qu’on mette en place au niveau européen des outils universels et juridiquement sûrs, comme le prévoit en France l’article 36 de la loi Climat et résilience. Au-delà, il nous semblerait opportun de porter les avancées apportées par cette loi dans la prise en compte des considérations sociales et environnementales dans les marchés au niveau européen. Tout comme s’il est désormais possible de tenir compte de la politique RSE d’une entreprise, des clauses environnementales et sociales pourraient devenir systématiques dans les marchés publics européens.
Notre quatrième proposition porte sur la prise en compte des externalités économiques et sociales de l’achat, en permettant de valoriser le maintien ou la création d’emploi dans un territoire, ou la création de richesse fiscale locale : cela permettrait à l’acheteur de raisonner en coût complet et de prendre en compte les effets multiplicateurs de l’achat.
Nous sommes également favorables à une exception alimentaire et agricole qui permettrait à l’acheteur d’imposer des critères de localisation de la production.
Enfin, sur un plan plus « technique », nous pensons que l’acheteur devrait pouvoir recourir à la négociation des offres chaque fois qu’il le juge opportun, et ce quel que soit le montant de la procédure (comme cela est possible lorsqu’il agit en tant qu’opérateur de réseau).
Comment évolue la législation au niveau de la commande publique pour accélérer la transition écologique et sociale ?
Il y a indéniablement une forte volonté du législateur de faire de la commande publique un levier de la transition écologie et sociale : je pense à la loi AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, art. 58) qui impose des objectifs ambitieux en matière de réutilisation, de réemploi et d’utilisation de matières recyclées dans les achats. Ou à la loi EGalim qui fixe une obligation de 50 % de produits durables et de qualité, dont 20% de produits issus de l'agriculture biologique au 1er janvier 2022, que l’acheteur doit désormais traduire dans ses marchés.
Et évidemment à la loi Climat & Résilience, que nous avons évoquée précédemment, qui systématisera les considérations sociales et environnementales dans les marchés, et renforcera le rôle des schémas de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER).
La loi Chaize du 15 novembre 2021, relative à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique en France, prévoit par ailleurs que les achats informatiques tiennent compte à compter du 1er janvier 2023 d’un indice réparabilité, puis à compter du 1er janvier 2026 d’un indice durabilité (qui reste cependant à définir).
À tout cela s’ajoute le PNAD, le plan national des achats durables qui d’ici 2025 prévoit que 30 % des marchés aient au moins une considération sociale. Sans oublier les nouveaux CCAG entrés en vigueur au 1er avril 2021, avec une clause environnementale, systématique.
Beaucoup de de modifications en peu de temps qui sont autant d’inflexions dans la bonne direction, donc, même si certaines dispositions auraient mérité d’être mieux travaillées, notamment sur la loi AGEC !